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Comment s’accorder sur les modalités d’utilisation des ressources des
grands fonds océaniques ? À l’heure où d’importants enjeux géopolitiques,
financiers, scientifiques, industriels et de défense se cristallisent autour
de l’exploitation minière des fonds marins, ces derniers deviennent un
sujet émergent dans l’univers du droit international et du droit de la mer.
Tel était le thème de la masterclass donnée par maître Virginie Tassin
Campanella, avocate à la Cour de Paris et de Zürich, fondatrice du cabinet
VTA Tassin spécialisé dans le droit international de la mer et rédactrice en
chef de Routledge Handbook on Seabed Mining and the Law of the Sea
(2024). Cette pionnière et experte en la matière apporte son éclairage sur
ces questions déterminantes pour l’avenir de l’océan longtemps passé sous
les radars du droit.
Dans le droit, on est souvent dans l’après-coup, La notion de « dommage écologique » fait-elle
qu’en est-il pour le cas des grands fonds marins ? partie de ce mécanisme juridique ?
Il se trouve qu’avec les ressources minérales des Tout à fait, hormis le fait qu’en droit de la mer, nous
grands fonds marins, on est dans « l’avant-coup » ! n’avons pas ce terme de « dommage écologique » :
En effet, l’exploitation de ces ressources n’a pas le dommage à l’environnement marin et à ses
encore commencé, or le droit a été développé en ressources, prévu par la convention de Montego
amont. À la sortie de la seconde guerre mondiale, Bay de 1982, prend en considération « la pollution
les États côtiers ont commencé à revendiquer les importante et les modifications considérables et
ressources minérales des fonds marins proches nuisibles du milieu marin ».
de leurs côtes. Cela a commencé en 1945 avec le
Président américain Truman, puis une série d’États Quelle est la prochaine étape qui se profile en
d’Amérique latine emboitèrent le pas. Face à cet matière de droit concernant les grands fonds
intérêt grandissant vis-à-vis des ressources des marins ?
fonds, et principalement le pétrole, la communauté Au moment de l’adoption de la convention de 1982,
internationale a développé le droit international le régime du patrimoine commun de l’humanité,
permettant de réguler l’accès à ces ressources a été très contesté par les États développés et a
minérales, et ainsi de promouvoir la paix. suscité beaucoup d’inquiétudes concernant la
ratification de la Convention. Un accord de mise
Quand on s’est rendu compte d’un potentiel de en œuvre de ladite convention a donc été établi
nouvelles ressources minérales dans les années en 1994. Cet accord a changé énormément de
1970, les États ont renégocié un accord (la choses, en particulier dans l’équilibre des forces au
convention de Montego Bay de 1982) permettant sein de l’autorité internationale des fonds marins. Il
d’englober cette fois tous les espaces marins – y y a un besoin urgent de résoudre les défis juridiques
compris ceux en dehors de la juridiction nationale. posés par la mise en œuvre de cet accord.
Un nouvel espace marin couvrant les fonds
marins a été créé, la « Zone », où les ressources De manière plus globale, de grands défis se
sont patrimoine commun de l’humanité. Dans cet profilent sur la façon dont on va appliquer le droit de
espace partagé par tous, les États n’ont pas de la mer en complémentarité avec d’autres familles
juridiction ou droits souverains, ni sur ses fonds et de droits. Il y a par exemple un droit de l’homme
ni ses ressources. Les États ont donc toujours été à avoir un environnement sain ; existe aussi dans
en avance : ils ont inclus dans le droit international le droit de l’environnement des mécanismes
des ressources qui n’étaient pas encore exploitées. requérant l’accord des peuples autochtones et des