Page 61 - Livre_MOW2023_FR

INNOVATIONS | 59

Ces algues sont ensuite séchées puis envoyées à des
usines pour la production alimentaires (agar-agar et
Runa Ray carraghénane). J’ai décidé de valoriser le produit de
est une écologiste de la mode et une créatrice leur récolte et de contribuer à la vie côtière de ces
interdisciplinaire dont l’expertise porte sur la cueilleuses d’algues. J’utilise donc ces algues marines
circularité de l'industrie de la mode. Orientée vers de qualité alimentaire, très respectueuses de la peau,
les objectifs de développement durable, elle fait
siens le modèle des 3R (réduire, réutiliser, recycler), comme coagulant dans mon processus d’impression.
les initiatives zéro déchet, les solutions basées sur
la nature et les techniques anciennes qui réduisent Considérez-vous la mode comme une tribune pour
notre impact sur la planète. l’écologie et l’océan ?
En tant que styliste, j’ai toujours cru en la justice envi-
À travers cette nouvelle collection, dénoncez-vous ronnementale, c’est-à-dire que mes créations portent
la manière dont la mode affecte nos océans ? un message d’espoir pour amplifier les situations ac-
La mode a notamment été blâmée pour l’impression tuelles de changement climatique et contribuer à créer
et la teinture qui peuvent polluer et gaspiller l’eau. L’in- des solutions, en gardant la finalité à l’esprit et en m’im-
dustrie de l’imprimerie des tissus relâche 99 % de ses prégnant des "3R" : Réduire, Réutiliser et Recycler.
rejets toxiques dans l’air, le 1 % restant étant réparti
entre l’eau et l’élimination dans le sol. Transportés par Comment est née votre mobilisation environne-
l’atmosphère ou par les eaux, ces polluants nuisent mentale ?
gravement à la vie marine. J’ai pris conscience de la notion de gaspillage lorsque
j’ai travaillé pour de grandes marques. La fast-fashion
En quoi consiste l’art des encres flottantes ? ne respecte pas la circularité. Pourquoi ce que nous
J’applique des encres chlorophylliennes et des colo- portons devrait avoir de si mauvais impacts sur l’en-
rants à base de pigments naturels, auxquels j’ajoute vironnement ? En tant que styliste indépendante, et
une petite quantité d’acrylique, à un mélange d’eau et c’est ce que j’ai soutenu aux Nations unies, je veux
d’algues dissoutes. À l’aide d’un cure-dent, je crée les maîtriser et connecter toutes les étapes de mes créa-
motifs que je capture en posant délicatement le tissu tions, de la graine (même les graines d’algues) jusqu’à
sur le liquide. la création finale. Je veux être responsable de ce que
je produis, du choix des matières et de leurs modes de
En quoi ce savoir-faire japonais ancien est-il plus production (coton durable, soie de la paix…), des pro-
respectueux de l’océan ? cédés de confection... S’orienter vers des procédés de
Cette technique m’a permis de renoncer aux encres fabrication durables et responsables, c’est ce que le
chimiques nocives généralement utilisées dans l’in- monde de la mode, à commencer par les designers
dustrie au profit d’une alternative plus écologique indépendants, devrait faire.
d’encres naturelles créées à partir de fleurs, de racines
de plantes, telles que la garance indienne, le curcuma Comment envisagez-vous la fin de vie des vête-
ou la fleur d’hibiscus, et de minéraux. En outre, j’ai pu ments ?
réaliser l’ensemble du processus en utilisant une seule En ce qui concerne la fin de vie des vêtements, ceux-ci
bassine d’eau : 100 mètres de tissu imprimés avec peuvent être réutilisés de plusieurs façons en prolon-
seulement 75 litres d’eau. De plus, les motifs obtenus geant leur durée de vie. L’une des façons de rendre la
sont organiques, ne se ressemblent pas et rappellent pareille à l’océan est de les convertir en pochettes ou
nos océans. en sacs et de les déployer sur des cordes afin que les
graines d’herbes marines puissent germer. Une façon
Face aux écueils de l’imprimerie industrielle, vous unique d’utiliser la mode pour restaurer l’océan.
appelez les algues à la rescousse ?
Lors de l’un de mes voyages dans les communautés
côtières du Sud de l’Inde, à Mandapam, j’ai observé
la récolte des algues sauvages par les femmes, sans
équipement de plongée approprié ni gants. LE L'industrie de la mode, qui pèse 3 000 milliards
SAVIEZ- de dollars, est responsable de 20 % des eaux
VOUS ? usées de la planète en raison de son traitement
et de la teinture des textiles.